Tonto
by on April 21, 2022
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LES THÉORIES DÉMOCRATIQUES DE LA SOUVERAINETÉ: Ce qu'il faut savoir
Les théories démocratiques de la souveraineté trouvent leur origine dans la philosophie des lumières. Formulées à partir de la dénonciation, de la désacralisation et de la laïcisation du pouvoir jusqu'alors considéré comme un attribut divin, ces théories situent la source du pouvoir dans le peuple.
La souveraineté du peuple traduit sur le double plan idéologique et politique la victoire de la démocratie sur les conceptions théocratiques (souveraineté de droit divin surnaturel ou providentiel) ou absolutistes (souveraineté monarchique) qui prévalaient jusqu'à la fin du 18e siècle. Le peuple justifie ainsi l'obéissance au pouvoir autrement que par la contrainte. Il donne aux gouvernés les raisons de se conformer à la volonté des gouvernants.
La notion de peuple est cependant complexe. On peut l'appréhender différemment selon que l'on met l'accent sur l'universalité des citoyens qui le composent ou sur la communauté qu'ils forment. Il peut alors correspondre à une réalité objective ou une simple abstraction. De cette amphibologie découlent deux conceptions différentes de la souveraineté : la souveraineté nationale et la souveraineté populaire.
La théorie de la souveraineté nationale et la théorie de la souveraineté populaire ont été souvent opposées l'une à l'autre. Mais la distinction a actuellement beaucoup perdu de sa netteté initiale.
I.LA SOUVERAINETE NATIONALE
La doctrine de la souveraineté nationale est essentiellement française. En effet si la paternité de cette doctrine revient à Jean Jacques ROUSSEAU, c'est l'Abbé SIEYES qui lui adonné son expression la plus concrète dans sa célèbre brochure "Qu'est-ce-que le Tiers-Etat". Le succès de cette théorie est tel qu'elle fait figure de véritable dogme, ainsi qu'en témoigne l'article3 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 qui stipulee expressément : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément".
Cette théorie fait de la nation la source et le titulaire exclusifs de tout pouvoir au sein de l'Etat. Or la nation est une abstraction. Elle est une fiction juridique dépourvue de toute substance physique. La Nation est un être collectif et indivisible distinct des individus qui la composent.
Elle est un corps juridique doté d'une existence propre, un être réel distinct de ses membres. Elle est un groupement humain dans lequel les individus sont liés par des liens objectifs tels que la race, la religion, la coutume ou les traditions (conception allemande) et/ou des liens subjectifs tels que la commune volonté de vivre ensemble pour atteindre des idéaux communs (conception française).
Cet ensemble humain donne naissance à une entité personnifiée qu'est la nation.
La "Nation-Personne" est titulaire de droits et obligations qui ne se confondent pas avec ceux des individus qui la composent. Considérée comme personne morale, la nation-personne ne se confond pas avec la somme des individus dans la mesure où elle tient compte du passé, du présent et de l'avenir. Elle englobe aussi bien les vivants que les morts et même ceux qui naîtront.
Ce corps moral et collectif a "son moi commun, sa vie et sa volonté" (Rousseau). Il est le détenteur exclusif de la souveraineté car de lui émanent tous les pouvoirs qui sont mis en œuvreen son sein.
II.LA SOUVERAINETÉ POPULAIRE
La paternité de la théorie de la souveraineté populaire est attribuée à Jean Jacques ROUSSEAU dont la pensée, complexe et parfois contradictoire, est à la source des deux conceptions de la souveraineté du peuple.
Toutefois, le succès de la souveraineté populaire fut moindre, en tout cas en France etdans les pays de tradition juridique et politique française.
Néanmoins, cette théorie a inspiré la constitution de l'An I du 24/06/1793 qui la consacre expressément en stipulant dans son art.25 "la souveraineté réside dans le peuple ... aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier; mais chaque section du souverain doit jouir de son droit d'exprimer sa volonté avec une liberté entière". La Constitution du 5 Fructidor, AN III (1795), art.2 affirme de façon nette et simple : "l'universalité des citoyens français est le souverain".
La théorie de la souveraineté populaire fait des citoyens ou, si l'on veut, du peuple, le
détenteur exclusif du pouvoir souverain. La souveraineté populaire repose sur la prise en considération du peuple concret, du peuple objectivement situé qui se ramène à l'universalité des citoyens. Contrairement à la nation qui est une abstraction, le peuple est une donnée concrètement évaluable car il est constitué d'hommes, de femmes et d'enfants réels d'un pays donné à un moment donné.
Il est en quelque sorte une somme d'individus bien situés, "en chair eten os" comptant tous dans leurs individualités, particularités et singularités.
La souveraineté est l'apanage de chaque individu. Celui-ci est à la fois sujet et porteur d'une parcelle de souveraineté qui lui permet de participer au tout. C'est pour ces raisons qu'on parle de souveraineté fractionnée, divisée, atomisée ou partagée entre tous les individus qui composent le peuple car chaque citoyen est détenteur d'une fraction du mandat que les gouvernés donnent aux gouvernants.
D'ailleurs Rousseau qui aimait bien se présenter comme "citoyen de Genève et membre du souverain" écrivait : "Supposons que l'Etat soit composé de dix mille citoyens.
Le Souverainne peut être considéré que collectivement et en corps, mais chaque particulier, en qualité de Sujet, est considéré comme individu. Ainsi, le souverain est au Sujet comme dix mille est à un : c'est-à-dire que chaque membre de l'Etat n'a, pour sa part, que la dix millième partie de l'autorité
souveraine, quoi qu'il lui soit soumis tout entier".Que le Peuple soit composé de cent mille hommes, l'état des sujets ne change pas, et chacun porte également tout l'empire des lois, tandis que son suffrage, réduit à un cent-millième, a dix fois moins d'influence dans leur rédaction. Alors le Sujet restant toujours un, le rapport du Souverain augmente en raison du nombre des citoyens. D'où il suit que plus l'Etat s'agrandit, plus la liberté diminue".
Harun Dianda Le Juriste
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Bibliographie:
- ARDANT (Ph.), Droit constitutionnel et institutions politiques. Travaux dirigés, l'examen oral,les épreuves écrites, les sujets théoriques, les cas pratiques; Paris, LGDJ, 9 è éd. 1997.
- BIDEGARAY (C.), EMERI (C.), SEURIN (J.L.), Droit constitutionnel et institutions
politiquDiandaes. Exercices corrigés, Paris, P.U.F., 1983.
- CLESSIS (C.), MAUSS (D.), ROBERT (J.), Exercices pratiques de droit constitutionnel, 1989.
- LECLERCQ (Cl.), et CHALVIDAN (Ph.), Travaux dirigés de droit constitutionnel, 5e éd.1989.
- LECLERCQ (Cl.) et TRNKA (H.), Droit constitutionnel, Paris, Litec, 1987.
- PACTET (P.), Exercices de droit constitutionnel, Paris, A. Colin,
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